Mesopolhis présente la Nuit Américaine
A l’occasion des dernières élections américaines, l’UMR Mesopolhis organisait, le 5 novembre au soir, la Nuit américaine, un évènement réunissant étudiants, chercheurs et membres du personnel autour de conférences à thème pointant les enjeux principaux de ce tournant politique, pas seulement étatsunien mais également mondial. La soirée était agrémentée d’évènements musicaux (chorale, groupe de musique), artistique (démonstration des Pompom Girls de Sciences Po Aix), et d’un espace restauration avec des food-trucks. Retour sur cet événement scientifique avec Nicolas Badalassi et Frédéric Heurtebize, dont les conférences respectives ont porté sur les enjeux géopolitiques des élections et les Swing States.
Entretien avec Nicolas Badalassi sur les enjeux géopolitiques des élections américaines
Merci de m’accorder quelques instants à l’occasion de la Nuit américaine organisée par Mesopolhis. Vous êtes directeur de ce laboratoire de recherche, comment l’idée d’un tel évènement vous est-elle venue ?
Nicolas Badalassi : Notre laboratoire regroupe des politistes, des sociologues et historiens qui interrogent les processus électoraux, les relations internationales et la politique étrangère des Etats-Unis. L’idée de couvrir une élection aussi cruciale que l’élection américaine nous paraissait donc naturelle et utile aux étudiants, en leur permettant de vivre cet événement de près et de profiter de l’expertise de nos chercheurs. Nous avons également souhaité apporter une dimension festive à cet événement en prévoyant, en plus des conférences, de la musique et des food-truck. C’est sans doute cette mixité qui contribue au succès de la Nuit Américaine, nous sommes environ 700 !
Selon vous, quel est l’enjeu majeur des élections américaines 2024 ?
Nicolas Badalassi : L’issue de ces élections est cruciale car elle déterminera le choix que feront les Américains entre interventionnisme et isolationnisme sur la scène internationale. Il est intéressant de mettre cela en perspective avec l’évolution des positions républicaines et démocrates depuis la fin de la Seconde guerre mondiale.
A partir de 1945 et jusqu’à la fin de la Guerre froide, les deux partis s’opposent farouchement au communisme et s’accordent sur la Destinée Manifeste des Etats-Unis[1]. Après l’effondrement du bloc soviétique, républicains et démocrates restent d’accord sur la nécessité de diriger les affaires du monde. Mais depuis les années 2000, avec le désastre de la guerre en Irak, la crise économique de 2008 et l’échec de l’intervention américaine au Moyen-Orient, des dichotomies apparaissent entre les deux partis. Barack Obama, pourtant démocrate, fait le choix de limiter la politique interventionniste et réduit la présence des troupes américaines au Moyen-Orient. Au début des années 2010, entre guerre en Syrie, guerre économique avec la Chine, échec en Afghanistan, en Irak et crise migratoire, les Américains commencent à comprendre qu’ils pourraient être les perdants de l’interventionnisme et de la mondialisation. C’est ainsi que l’ « effet Trump » naît progressivement au sein du parti républicain. Son élection en 2017 est donc l’incarnation de ces Etats-Unis souhaitant se retirer des affaires du reste du monde. Lorsqu’il devient président en 2021, Joe Biden ne remet d’ailleurs pas en question plusieurs choix du précédent locataire de la Maison Blanche, en poursuivant par exemple la guerre économique contre la Chine. Toutefois, Biden renoue avec deux éléments sur lesquels Trump s’était assis : le multilatéralisme et le droit international, en supportant activement l’Ukraine face à la Russie via l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (ci-après « O.T.A.N »).
Ce soir, nous assistons donc à l’opposition de ces deux visions du monde : Kamala Harris souhaitant honorer les alliances internationales sans non plus replonger dans l’interventionnisme et Donald Trump, prônant une vision illibérale du monde, reposant sur la fin du multilatéralisme, du soutien à l’Ukraine et potentiellement de l’implication des Etats-Unis dans l’O.T.A.N.
L’issue de ces élections est cruciale car elle déterminera le choix que feront les Américains entre interventionnisme et isolationnisme sur la scène internationale.
Justement, à ce sujet, un point qui m’apparaissait central dans votre intervention est la loi[2] qui complexifie la procédure de retrait de l’O.T.A.N pour les Etats-Unis…
Nicolas Badalassi : Cette loi repose sur l’idée d’empêcher l’administration Trump d’organiser le retrait unilatéral des Etats-Unis de l’O.T.A.N, sans qu’il n’y ait de garde-fou. Elle vise, plus particulièrement, à soumettre la sortie des Etats-Unis du Traité de l’Atlantique Nord à une loi du Congrès ou à l’approbation des deux tiers du Sénat américain[3]. Il s’agit donc d’un mécanisme relatif puisqu’il est fonction de la majorité qui émergera au Sénat. Cette loi apparaît par ailleurs relativement fragile sur le plan juridique, ce qui rend son application incertaine.
Entretien avec Frédéric Heurtebize sur les Swing States
Bonsoir Monsieur Heurtebize. Pourriez-vous premièrement définir un swing state, puis nous indiquer comment se déroule la campagne électorale dans ces États ?
Frédéric Heurtebize : Un swing state correspond à un État fédéré dont on ne connaît pas le résultat électoral à l’avance. L’on pourrait ainsi dire qu’il « change d’allégeance » d’une élection à l’autre. Les swing states sont donc cruciaux, car ils sont susceptibles de faire basculer les résultats de l’élection tantôt du côté républicain, tantôt du côté démocrate.
Pour répondre à la seconde partie de votre question, les candidats adaptent stratégiquement leur discours en fonction des préoccupations des électeurs de ces swing states. A titre d’exemple, Trump a plutôt axé son discours sur la question des frontières dans l’État de l’Arizona, alors qu’il l’a centré sur l’industrie et l’énergie dans le Michigan ou en Pennsylvanie du fait de la présence d’hydrocarbures dans ces États. Les candidats taillent en quelque sorte leur discours en fonction des enjeux dans ces États.
Peut-on expliquer le vote démocrate et républicain par la géographie ? Y a-t-il d’autres explications à prendre en compte ?
Frédéric Heurtebize : Bien sûr. La géographie impacte les préoccupations des électeurs, leurs mentalités et leurs votes. Globalement, le monde urbain, à la différence des campagnes, vote majoritairement démocrate et ce lien se perçoit d’autant plus quand on place le curseur à l’échelle d’un État. Dans le Texas par exemple, où le vote républicain est prépondérant, les grands centres urbains comme Dallas, Houston et Austin sont démocrates. On pourrait dire qu’elles constituent des taches bleues dans un océan rouge.
Cette différence est aussi très palpable au regard des programmes scolaires. A Dallas, le comté y aborde les questions de l’accueil des transgenres, des toilettes mixtes ou non genrées alors que ces sujets ne peuvent généralement pas être évoqués à l’école dans le reste de l’État.
Pour finir, j’ai appris au cours de votre conférence que le Nebraska et le Main sont les deux seuls Etats fédérés américains fonctionnant sur un type de scrutin proportionnel, alors que le reste des Etats a adopté le principe du winner takes all. Pourriez-vous revenir sur ces concepts ?
Frédéric Heurtebize : En effet, 48 États sur 50 ont un système dit du winner takes all, ce qui veut dire que le candidat qui arrive en tête de l’élection remporte tous les grands électeurs associés à cet État. Prenons l’exemple de la Californie : si, dans cet État, un des deux candidats remporte la majorité, ne serait-ce que d’une seule voie, il remportera alors les 54 grands électeurs de Californie. Cependant, le Nebraska et le Main ont des systèmes de répartition proportionnelle des grands électeurs, c’est-à-dire qu’en fonction du pourcentage obtenu par chacun des deux candidats, sera affecté le pourcentage correspondant en termes de grands électeurs.
Entretien réalisé et rédigé par Chiara Bertucci
[1] Le géopoliticien Yves Lacoste définit la Destinée Manifeste comme : « le rôle que Dieu aurait manifestement confié à l’Amérique de développer les valeurs de liberté, de justice et de progrès, de les étendre le plus possible et de les défendre contre toute tyrannie », en Amérique, et dans le monde entier. La Destinée Manifeste a donc appuyé les ambitions impérialistes de la politique étrangère américaine.
[2] Loi de finances relative au budget de défense nationale pour l’exercice 2024 du 22 décembre 2023
[3] La loi oblige également le président des États-Unis à informer le Congrès 180 jours avant d’entreprendre un plan de retrait.
OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
chiarabertucci (30 novembre 2024). Mesopolhis présente la Nuit Américaine. Un Œil sur la Cité. Consulté le 19 janvier 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/12stu
