Les territoires des transitions énergétiques. Nucléaire et énergies renouvelables en Italie et en France

L’ouvrage « Les territoires des transitions énergétiques. Nucléaire et énergies renouvelables en Italie et en France », paru aux éditions Karthala,  est issu d’un projet de recherche franco-italien dirigé par Cesare Mattina et Pierre Fournier, sociologues au laboratoire Mesopolhis (CNRS-AMU-Sciences Po Aix) ; et par les historiennes Elisabetta Bini (Université de Naples Federico 2) et Barbara Curli (Université de Turin).

 

 

Pourriez-vous revenir sur la genèse de votre ouvrage? Comment et pourquoi le choix de l’étude des territoire et de la transition énergétique a t-il été fait? 

Cet ouvrage découle d’une histoire longue, liée à des travaux provenant du laboratoire méditerranéen de sociologie (LAMES), devenu Mesopolhis. Entre 2008 et 2010, nous avons conduit une enquête sur des territoires investis par des grandes entreprises à risque dans la vallée de la Durance, au nord d’Aix-en-Provence. Trois usines en particulier ont été observées dans leurs relations avec les territoires : le CEA(1) de Cadarache, la Chimie à Château-Arnoux-Saint-Auban et la chimie pharmaceutique de Sisteron. A l’époque, l’idée était de travailler sur les relations qu’entretiennent ces usines avec les villes et territoires environnants, sous plusieurs angles de vue: la structuration de la main d’œuvre sur le long terme, les liens entre les collectivités locales et les usines et la question de leur impact sur l’environnement. Ces recherches se sont progressivement ouvertes à l’international et nous sommes entrés en contact avec des chercheurs qui travaillaient dans le domaine de l’histoire nucléaire et des énergies renouvelables.  En 2015, nous avons  souhaité recentrer nos recherches pour observer davantage les implantations énergétiques dans la logique du rapport entre les territoires et les industries.

 

Comment se sont organisées les collaborations au sein de l’équipe de recherche composée de plusieurs nationalités ?

 

Il existe un certain nombre de dispositifs franco-italiens, y compris financiers (Galilée, Université franco-italienne…), qui favorisent les rapprochements et, comme souvent, les collaborations scientifiques se nourrissent des expériences d’enseignement en commun que l’on peut effectuer. 

S’agissant plus particulièrement de l’ouvrage, l’équipe de recherche a réuni des profils scientifiques différents. Elisabetta Bini (Université de Naples Federico 2) et Barbara Curli (Université de Turin) s’étaient plutôt spécialisées en politiques nationales ou internationales des entreprises, des Etats ou encore de l’Union Européenne sur les questions énergétiques. De notre côté, nous avions plutôt travaillé à une échelle locale.  On a donc tenté de définir un cadre d’analyse partant du local en essayant d’emboiter les différentes échelles. L’idée a été d’observer l’influence des usines et des installations nucléaires sur un territoire tout en étudiant les politiques nationales et internationales des groupes privés et du secteur public qui ont contribué au développement du nucléaire à l’échelle nationale et à l’implantation  desdites usines sur les territoires locaux. A coté du nucléaire, nous avons également réuni des chercheurs s’étant intéressés aux énergies renouvelables et plus particulièrement à la question de l’éolien, tant en France qu’en Italie ce qui a permis de compléter notre analyse. 

L’ouvrage est donc le résultat d’un vrai travail collectif avec des études de terrain et analyses communes à la différence de ce que l’on peut trouver dans des actes de colloques. 

 

Pourriez-vous évoquer les principales différences entre la France et l’Italie sur le traitement du nucléaire et de la transition énergétique ? 

 

Nous nous sommes effectivement inscrits dans une démarche comparative même si, avec du recul, les situations de l’Italie et la France  paraissent largement différentes du point de vue du mix énergétique. La France est le pays le plus nucléarisé au monde avec 58 réacteurs et 70% de sa production énergétique qui en découle, tandis que l’Italie a totalement arrêté le nucléaire à la fin des années 80 suite au referendum de 1987. 

Comparer permet toutefois, lorsque l’on se place sur le temps long, d’observer les fondements communs du passé et de mieux appréhender les contrastes qui se manifestent aujourd’hui. Notre enquête a par exemple permis de faire apparaître que les volontés de poursuivre la production nucléaire ont été communes aux deux pays entre les années 50 et le milieu des années 80. Ce n’est qu’à partir de la fin des années 80 que l’on observe des divergences importantes ; l’Italie ayant au cours des années 1990 et 2000 investit plus fortement que la France dans les énergies renouvelables en développant l’éolien et le photovoltaïque. 

 

Pourquoi la volonté politique liée au programme nucléaire s’est-elle essoufflée si tôt en Italie? 

 

Nos historiennes pointent la faiblesse du monde nucléaire en lui-même. Les services de l’Etat, les ministères et le conseil national de l’énergie nucléaire(2) n’ont pas réussi à imposer la continuité du programme nucléaire dans l’agenda politique. On a tendance à penser que c’est l’influence des Etats Unis qui a permis d’imposer le pétrole en Italie, au détriment du nucléaire, mais notre enquête montre  que ce sont les faiblesses propres à l’industrie, ses ingénieurs et personnel qui ont entrainé son déclin. 

 

À l’heure actuelle, la question du nucléaire fait largement partie du débat public en France alors qu’elle est tabou en Italie. Quels sont les enjeux de votre ouvrage vis à vis de ce contexte? 

 

Notre ouvrage se concentre sur les territoires alors que la question énergétique est généralement étudiée aux échelles nationale et internationale. Nous avons observé des cas spécifiques, ancrés sur des territoires et en prise avec des travailleurs et des mobilisations locales qui permettent de placer les éléments du débat  dans des réalités locales. Cette approche permet également de mettre en avant la diversité des transitions énergétiques et de sortir des formules toutes faites. 

Sur la question du nucléaire, il y eu un plan de relance en Italie en 2008 qui n’a pas abouti mais la question est toujours d’actualité avec l’arrivée au gouvernement de Giorgia Meloni. Son parti soutien le nucléaire même si les choses semblent être bloquées du fait de l’écart de compétence qui s’est installé sur la main d’œuvre. Cet écart a également pu être mesuré en France à l’occasion du « Plan Macron » mais celui ci se manifeste avec une particulière acuité en Italie ou la production s’est interrompue depuis de nombreuses années. 

 

Entretien réalisé par Luna Belkadi

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(1) Centre d’Études Atomiques

(2) Équivalent du Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives en France 

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