Politiques de la nature, nature de l’État. Fabriquer l’action publique au Mozambique

Ancienne étudiante à Sciences Po Aix, Rozenn Nakanabo Diallo est Maître de conférences en science politique à Sciences Po Bordeaux. Spécialiste des politiques de conservation de la nature en Afrique, elle étudie en particulier sous ce prisme la sociologie de l’Etat et des élites administratives au Mozambique. Nous l’avons rencontrée à l’occasion de la parution de son ouvrage “Politiques de la nature, nature de l’État. La fabrique transnationale de l’action publique au Mozambique”, aux éditions Karthala (1).

 

Pourriez-vous revenir sur la genèse de votre ouvrage? Pourquoi le choix du Mozambique comme cas d’étude? 

 

Il y a souvent des raisons très personnelles pour choisir un objet de recherche qui va nous accompagner pendant de nombreuses années. Quand j’y pense, dans mon cas, deux raisons principales me viennent à l’esprit. La première, sans doute la plus évidente, est que j’ai habité au Mozambique durant mon enfance. Mes parents étaient expatriés dans le nord du pays près du barrage de Cahora Bassa. A cette époque, j’étais assez grande pour en avoir des souvenirs mais trop petite pour comprendre ce qu’il se passait. On y est arrivé deux ou trois ans après la fin du conflit civil et les accords de paix de 1992. C’était une période où une grande partie du Mozambique était encore miné. Les enjeux sécuritaires étaient donc importants et, enfant, je ressentais les limitations découlant de ce contexte. Je me suis toujours dit que j’y retournerai un jour pour essayer de mieux comprendre ces réalités. 

Des années après, quand j’étais en licence à Sciences po Aix, j’ai rencontré un enseignant de relations internationales qui m’a parlé des “parcs de la paix”  en Afrique australe et expliqué le caractère novateur de telles initiatives. A travers la protection de la faune et de la flore, ces parcs transfrontaliers promeuvent la paix des peuples. J’ai trouvé cette idée extraordinaire et l’un des parcs étant transfrontalier entre le Mozambique, le Zimbabwé et l’Afrique du Sud, cela m’a conduit à réfléchir sur un projet de thèse

 

Pourriez-vous détailler votre parcours universitaire et de recherches en soulignant un événement vous ayant conforté dans le choix de votre sujet de recherche ? 

 

Le choix de mon sujet de recherche est fonction d’une série d’évènements. J’ai d’abord eu l’occasion, alors que j’étais étudiante en master à Sciences Po Aix, de réaliser une enquête terrain au Brésil sur une station écologique dans l’Etat de Sao Paulo. Je me suis questionnée sur cette aire protégée de laquelle avaient été expulsés plusieurs milliers d’habitants quelques années auparavant. J’y ai étudié  les mobilisations collectives de ces personnes qui œuvraient pour réclamer un droit au retour sur leurs terres ancestrales. Cette enquête m’a vraiment plu et c’est en rédigeant mon mémoire que j’ai fait le choix de m’orienter vers ces thématiques. 

J’ai poursuivi mon travail lors de mon master de recherche à Sciences Po Bordeaux en m’interrogeant sur la construction des grands discours environnementaux sur la scène internationale et la façon dont les pays du sud pouvaient se les approprier. 

Ces premiers travaux m’ont amenée à construire mon projet de thèse autour d’un parc de la paix au Mozambique, le parc du Limpopo puis celui du Gorongosa. Mes premières enquêtes terrain réalisées sur place m’ont permis de me centrer sur l’étude d’un secteur de l’environnement très investi par les organisations internationales et les ONG de la conservation, mais, dans le contexte d’un état « faible ». 

 

Pour en venir à votre ouvrage, celui-ci s’organise en trois grandes études de terrain. Comment ces zones étudiées ont été déterminées? Quelles sont les différences majeures entre ces trois lieux?

 

Il y a trois grands exemples dans l’ouvrage avec un fil directeur qui est la question  de la fabrique des politiques publiques de protection de la nature caractérisée par un régime d’aides financières internationales important, une présence des bailleurs de fonds marquée et un appareil étatique peu présent. 

Un premier pan de ma recherche consiste à étudier la formation des lois et des règlements pour savoir dans quelle mesure les acteurs de l’aide dictent les règles sur un territoire où l’État ne ferait qu’appliquer les lois dans une sorte d’apathie politique. En m’intéressant particulièrement au cas des hauts fonctionnaires mozambicains, certains de l’ancienne génération, formés sous l’occupation Portugaise, et d’autres de la nouvelle génération qui n’ont pas connu l’époque coloniale, j’ai montré la complexité de cette question. Ces hauts fonctionnaires, indépendamment de leur formation et de leur âge, se placent au service de l’État, non sans fierté, mais jouent également le jeu des bailleurs de fonds. Cela tient au fait qu’ils sont bien souvent rémunérés sur l’aide internationale qui peut donc financer des personnels au sein même de l’appareil d’état. Ces derniers sont donc dans une situation d’équilibriste entre la volonté de maintenir l’influence du secteur public dans la construction des politiques publiques et l’application des directives découlant de l’utilisation de l’aide internationale.  

Le deuxième aspect de ma recherche concerne la gestion du parc du Limpopo qui bénéficie d’un niveau d’aide internationale important. A l’époque de mon enquête, ce parc était entièrement piloté par l’Agence Française pour le Développement, la Banque Allemande de Coopération et le Peace Park Foundation et, pour autant,  le projet de conservation et de développement était très largement bloqué face à l’enjeu du déplacement des populations qui vivent encore dans le parc.     

Le troisième cas d’étude porte sur l’exemple le plus connu des politiques de conservation de la nature au Mozambique, le parc national de Gorongosa, situé au centre du pays, et qui était à l’époque coloniale la “perle du Mozambique”.  Celui-ci a été repris en main par un Américain qui a investi des millions dans ce parc selon un modèle philanthro-capitaliste consistant à mettre sa fortune au service d’un projet afin que celui-ci génère des revenus au profit de la protection de la nature et de la lutte contre la pauvreté. 

Trois formes d’aides particulières, donc, avec les mêmes questions : que penser de la nature de l’État mozambicain dans ces contextes-là ? L’aide internationale place-t-elle l’appareil étatique dans une position de simple façade ? Ou au contraire, pourrait elle permettre à cet Etat de se renforcer et d’exister ? 

 

Vous terminez votre ouvrage en soulignant l’importance de la conciliation entre politique étatique et action d’aide internationale. Sur la base de vos travaux de recherche, pensez-vous que le Mozambique trouvera les clés pour imposer sa politique et non se laisser uniquement guider par les aides internationales ? 

 

L’idée est vraiment d’aller à rebours des lectures dépendantistes qui soulignent la fragilité des États africains, qui se se laisseraient dicter leurs politiques nationales. C’est quelque chose de très établi dans la littérature mais, dans mon ouvrage, j’essaie de montrer comment la capacité d’action d’un Etat dit faible se forge et se construit au quotidien. Le secteur de la conservation de la nature n’est pas prioritaire pour un Etat en développement au regard d’autres secteurs comme ceux de l’éducation ou de la santé. Cependant, derrière la question de la protection de la nature, il y a celle de la terre, son usage, et cette question implique une construction de l’Etat dans son rapport aux territoires. A ce titre, l’aide internationale peut être un levier intéressant pour garantir la présence de l’Etat sur son territoire et pour ses populations. 

 

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(1) Éditions Karthala, Collection “Questions transnationales”: Editions Karthala – Mesopolhis

 

 

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